Owen, tu t'es levé ce matin-là pour ta dernière matinée de classe, avec en tête des projets pour l'été, surfer, plonger, nager, camper avec les copains et copines, gagner de l'argent en travaillant aux échalotes ...

Ce midi-là quand nous sommes rentrés ensemble, tu t'es gentiment moqué de moi quand je t'ai montré avec fierté les petits cadeaux que m'avaient offert mes élèves de 6ème. Puis tu m'as annoncé que tu allais à vélo à l'entrainement d'athlétisme, avec Jean-Gui. J'ai tiqué, mais je n'ai rien dit, je te faisais confiance, tu avais passé une très bonne année scolaire, nos relations étaient sereines, je n'ai pas voulu t'en empêcher.

Quand tu es parti à vélo ce jour-là, je ne pouvais pas m'imaginer que ce seraient tes cendres qui reviendraient à Plouguerneau, que ce seraient tes cendres que la mer bercerait désormais ...

Puis ton Papa est rentré plus tôt que prévu, les yeux baignés de larmes, pour m'annoncer que tu avais été victime d'un accident, il ne savait rien de tes blessures, car quand il est arrivé sur les lieux de l'accident, les gendarmes l'ont empêché d'aller te voir, de te parler et de te tenir la main pour te réconforter. Ton Papa, tu le sais, souffre en silence de ton absence, comme nous tous, et aura à jamais le regret de ne pas avoir eu le droit d'être là, tout près de toi, avant que les secours ne t'emportent à l'hôpital. Là, je me suis dit qu'il ne fallait surtout pas paniquer, mais comment ne pas imaginer le pire à entendre ton Papa dire "ils ne m'ont même pas laissé le voir"?

Quand nous sommes arrivés à l'hôpital, le sol s'est dérobé sous nos pieds car on nous a d'emblée annoncé tes blessures à la tête, l'inutilité d'une opération, la pression dans ton crâne ... Les gendarmes nous attendaient pour nous expliquer ce qui s'était passé. Je me suis demandé pourquoi, alors que je disais que j'aurais dû t'empêcher de prendre ton vélo, l'un d'eux a répondu qu'on ne peut pas mettre nos enfants "dans des caisses". J'ai tout de suite pensé à un cercueil et je me suis dit "pourquoi dit-il cela ?"

Et puis nous sommes allés te voir, le choc, de te voir étendu sur ton lit en réanimation, intubé, perfusé, inconscient, brûlant de fièvre. Ton corps violemment malmené sur le pare-brise de cette voiture ne présentait aucune blessure externe. Une aide-soignante m'a tendu ton caleçon, qu'une infirmière s'est empressée de prendre, savait-elle, déjà, que c'était inutile? Je me suis aussi posé la question.

La famille est venue très vite, heureusement nous ne sommes pas restés seuls, des amis de l'athlétisme aussi, nous avions besoin de leur force pour y croire encore, tous les espoirs n'étaient pas perdus nous avait-on dit. On nous a dit "Owen n'a pas dit son dernier mot, c'est un battant, il s'en sortira". Ton grand frère est arrivé, il t'a supplié de guérir, nous t'avons tous murmuré à l'oreille combien nous t'aimons, combien nous avons besoin de toi.

Le soir, nous nous sommes pris dans les bras tous les quatre, ton Papa, ton grand frère, ta petite sœur, et moi, ta Maman et nous nous sommes dit que nous devions unir nos forces pour que tu guérisses.

Nous nous sommes préparés à une nuit interminable, ta dernière nuit ...